INAUGURATION DU TEMPLE DE LA VERITE
(ancienne abbatiale de Saint Sever)
Premier
décadi Frimaire, seconde année républicaine (21 novembre 1793)
Archives
départementales des Landes : Leclercq imprimeur à Mont de Marsan
Reproduction à l’identique à
l’exception de mise à la ligne que j’ai réalisée à chaque phrase afin de rendre
le texte plus clair
PROCES
VERBAL DE LA CEREMONIE
La fête a été annoncée dès six
heures du matin par le son des cloches : les Autorités constituées,
District, Tribunal judiciaire, Bureau de Conciliation, Tribunal de la Justice
de Paix et le corps de Gendarmerie, sur l’invitation de la Municipalité se sont
rendus à l’Hôtel commun, revêtus de leurs marques distinctives.
A ce spectacle imposant s’en est joint un
autre bien intéressant : des jeunes Citoyens se sont groupés autour de
trois vieillards désignés à l’unanimité par la Société populaire, en signe du
respect et des égards dûs à la vieillesse.
Bientôt après, la partie du Bataillon de la
levée en masse du District de Dax, qui s’est trouvé dans la Ville, ayant à sa
tête le Citoyen Lux, Commandant, la
Garde départementale, la Garde nationale de la Commune, et un concours immense
de Citoyens s’étant rendus devant la Maison commune, au son d’une musique
guerrière, les Corps constitués sont venus se ranger autour de l’Arbre de la
Liberté, d’où s’est détaché un peloton du Bataillon de Dax, pour aller prendre
la Citoyenne Bustarret , qui avoit été désignée pour représenter la
Liberté, laquelle ayant à ses côtés un chœur de jeunes Citoyennes, choisies
pour chanter des hymnes patriotiques, est venue, armée d’un sabre nud et deux
pistolets à la ceinture, rejoindre la troupe qui l’attendoit au pied de l’Arbre
de la Liberté .
De là on s’est rendu au Temple
de la Liberté et de la Raison, dont la commune a pris possession, et dans
lequel on avoit eu le soin de dresser un Autel, autour duquel étoient quatre
colonnes : là a été placé l’emblème de la liberté, qui présentoit
l’attitude la plus agréable et la plus imposante : à l’orgue étoit placé
le chœur des jeunes Citoyennes, destinées à chanter des hymnes
patriotiques ; elles ont exécuté ces hymnes au son de la musique et mérité
les aplaudissements de tout bon Républicain.
A côté de l’Autel de la Liberté étoit élevé un pièdestal, recommandable
par sa simplicité, orné de branche de laurier, sur lequel s’est placé l’Orateur
Bertrand qui a prononcé un Discours, dans lequel il a
démontré clairement la nullité et l’absurdité du culte que nous venons
d’abjurer, et qui lui a mérité les plus vifs applaudissements.
Ce fait, on est sorti du
Temple de la Raison ; et le concours arrivé sur la place de la Révolution,
le Représentant du peuple, Dartigoeyte, a
paru au milieu des cris plusieurs fois répétés, de Vive la République, et Vive la Montagne : le Président de la
Société a présenté une branche de chêne à ce vrai Sans Culotte, qui l’a reçue,
en donnant l’acolade fraternelle au Président, et en répondant à son discours
par un autre, en reconnoissance de l’accueil civique, fait dans sa personne à
la Représentation nationale ; il a développé l’énergie d’un vrai
Montagnard : le groupe l’a ensuite accompagné chez le Citoyen Tortigue, où l’on s’est séparé ; et
chaque Citoyen, arrivé dans sa demeure, pour ne rien laisser à désirer dans
cette journée mémorable, a fait dresser sur la rue, et devant la porte, des
banquets où a régné la frugalité républicaine, et où l’on a porté et réitéré la
santé de la République et de la Montagne.
Vers deux heures on a dansé la Carmagnole autour de la Ville ;
toutes les Autorités constituées, les Corps armés et la foule de Citoyens ont
été prendre le Représentant Dartigoeyte ;
on s’est rendu de nouveau autour de l’Arbre de la Liberté, où l’on a encore
entendu la voix des Citoyennes républicaines, qui avoient toujours l’emblême de
la Liberté à leur tête : on s’est porté devant la maison du Montagnard Lafaurie, et de là au temple de la
Raison, où le Représentant Dartigoeyte
et la Citoyenne Tortigue, placés sur l’Autel de la Liberté, ont tenu une fille que
la Citoyenne Lafaurie venoit de
donner à la République, et à laquelle il a été donné le nom de Montagne-Marat-Liberté-Lafaurie.
Dartigoeyte, en analysant en peu de mots, l’énergie des Députés
fidelles de la Montagne, qui ont consolidé la Liberté, et les vertus de Marat , ce martyr inhumainement
assassiné pour avoir soutenu la cause du peuple, a ému tous les auditeurs de la
plus vive reconnoissance envers ces Mandataires fidelles.
On a ensuite accompagné
l’emblême de la Liberté dans sa demeure, et l’on s’est séparé un moment, pour
se réunir bientôt après dans la Société populaire, où la présence du
Représentant Dartigoeyte
a attiré le plus grand
concours.
La fête a été terminée par un
Bal de Sans-culottes qui a duré toute la nuit.
DISCOURS
Prononcé
par Bertrand pour l’Inauguration du Temple de la Vérité de la Commune de Saint
Sever
Comment retracer le tableau
intéressant et sublime que présente cette journée mémorable !
Comment exprimer tous les
sentiments qui m’agitent, toutes les affections qui me pressent !
Ces lieux, jadis consacrés à
l’erreur, convertis soudainement en un Temple de la vérité ; cette chaire,
si long-temps l’organe du mensonge, devenue l’oracle de la raison ;
l’image sainte de la liberté remplaçant d’absurdes idoles ; les emblêmes
de l’égalité sur tous les murs, les attributs du républicanisme sur toutes les
têtes ; ces hymnes, ces chants patriotiques, cette affluence de tous les
âges et de tous les sexes, cette allégresse, ces transports, tous m’annonce
l’élan d’un grand peuple vers la raison ; tout me dit que le règne du
mensonge a cessé, et que les Français, dignes enfin de la Liberté, ne
reconnoissent plus d’autre culte que celui de la Patrie, d’autres dogmes que
ceux de la vérité.
Français ! Quelle
révolution inattendue a pu amener sitôt, pour vous, cette époque consolante
dont désespéroit la philosophie.
Qui a pu vous élever ainsi
tout-à-coup à cette raison épurée et sublime, à cette religion philosophique,
dont un petit nombre de savans osoit à peine s’entretenir il y a quelques
années ?
Un coup d’œil rétrograde sur
les derniers évènements de notre révolution, suffira peut-être pour expliquer
ces grands changements. Nous y trouverons tout-à-la-fois de quoi redoubler
l’énergie des ames courageuses, et de quoi rassurer les esprits foibles et
superstitieux, qui ne voient dans cette utile métamorphose, qu’un bouleversement
sacrilège, qu’une réforme calamiteuse.
Une révolution, dont il ne fut
point donné à l’esprit humain de prévoir les suites, ni de calculer les
effets ; une révolution terrible, mais nécessaire, a bouleversé tout le
système de nos habitudes et de nos
institutions : accélérée dans sa marche, par les obstacles même que la
malveillance ou la perfidie osèrent lui opposer, elle s’est élancée comme un
torrent au sein de la France, renversant les corps, déracinant les préjugés,
roulant dans son tourbillon immense les loix et les opinions, les hommes et les
choses, et n’épargnant rien de ce qui pouvoit ralentir sa marche vers le grand
et sublime but d’une régénération universelle. Au sein de ce vaste
bouleversement, et parmi l’écroulement rapide de toutes les parties de notre
ancien gouvernement, la superstition seule, échappée à la catastrophe générale,
sembloit devoir survivre à la Nation elle-même. Debout, au milieu de la ruine
universelle, cette idole orgueilleuse sembloit défier sa destruction, et braver
la puissance du peuple. Enfin le jour des vengeances est venu : la foudre
a frappé ce colosse odieux, et sa dispersion soudaine a prouvé que rien n’est
impossible à la puissance d’une Nation libre et éclairée.
Orateurs, écrivains, qui par
vos prédications éloquentes prépariez depuis trente ans ces mémorables
réformes ; et vous, Législateurs philosophes, qui avez eu le courage de
les exécuter, grâces immortelles vous soient rendus ! Les deux plus cruels
ennemis de l’espèce humaine, les deux fléaux de toute société, ces deux
monstres que tout Etat nourrit dans son sein, et dont la coalition funeste
amène tôt ou tard l’asservissement des Empires, le despotisme et le fanatisme
ont tombé sous vos coups, par vous la tyrannie n’a plus de trône, et
d’imposture n’a plus d’autel : le soleil de la vérité se lève enfin sur la
France, et chasse devant lui les ombres de la superstition ; déjà ses
rayons ont dissipé les nuages qui obscurcissaient la raison publique ;
déjà l’on ose soulever le voile mystérieux dont s’enveloppoient des hommes
profondément hypocrites ; déjà l’on ose pénétrer dans les sombres repaires
du fanatisme, et dévoiler à tous les regards ce système hideux de fraude et de
rapine qui ronge et déshonore depuis tant de siècles les Nations abusées.
O peuple ! apprends enfin
à distinguer tes amis de tes ennemis ! vois quels sont les bienfaits de ta
révolution ! connois tous les crimes du Sacerdoce !... Le Sacerdoce n’est
n’a été et ne sera jamais qu’une école publique de mensonge, payée par les
Tyrans, pour tromper et abrutir la multitude.
Oui, les Prêtres n’ont d’autre
mission, dans un Etat, que d’épaissir sur les yeux du peuple le bandeau d’une
erreur utile, et d’endormir la victime pour l’égorger plus facilement ;
aussi de quelles absurdités ils ont abreuvé son esprit ; de quels monstres
ils ont effrayé son imagination !
Ingrats envers celui même dont
ils se disoient les ministres, quelle hideuse caricature ils nous ont présenté
de la Divinité ! Dieu, cet être incompréhensible, mais nécessaire, ce
principe de tout bien, cette source de toutes voluptés, n’est, à les entendre,
qu’un Tyran ombrageux et cruel, jouissant de nos larmes et jaloux de nos
plaisirs.
Brigands ! ainsi pour
justifier vos crimes, vous lui prêtiez vos passions, vous lui supposiez des
vengeances pour trafiquer de ses bontés ! Mais que dis-je ? c’étoit
peu de calomnier la Divinité ; avec quel acharnement ils ont persécuté son
plus bel ouvrage !
Tyrans de l’opinion et
bourreaux de la pensée, ils étouffoient le génie dans les cachots, ils assassinoient
la raison sur les bûchers.
Tout couverts des hochets de
l’orgueil, ils prêchoient l’humilité, ils affectoient la pauvreté au sein de
l’opulence. Despotes industrieux, ils avoient étendu leur empire jusques sur
les consciences, et soumis à leur tribunal les opérations les plus fugitives de
la pensée. Enfin, Tyrans éternels de l’homme, qu’ils prenoient au berceau, pour
ne l’abandonner qu’à son lit de mort, ils le poursuivirent encore jusques dans
les doutes d’une vie future, où ils avoient su créer à leur profit, les
béatitudes d’un paradis, et les supplices d’un enfer.
Que de fables absurdes, que d’impostures
odieuses, que de farces dégoûtantes je pourrois citer ici pour achever ce tableau,
malheureusement trop fidelle, du Sacerdoce ancien et moderne ! par combien
de faits je pourrois démontrer que, dans tous les temps et dans tous les lieux,
les Prêtres ont été constamment les complices de la tyrannie et les
persécuteurs les plus acharnés de la raison et de la liberté publique !
O toi, dont j’ose me dire ici
l’interprète, Vérité sainte, fais luire enfin aux yeux de ce peuple abusé, le
flambeau de tes clartés immortelles ; accoutume son oreille au langage
austère de la raison ; découvre à son esprit les principes d’une morale
plus saine et d’une vertu plus éclairée !
Quelle est cette Divinité
nouvelle dont la présence attire les regards et commande les respects ?
Moderne Pallas, elle couvre sa tête du bonnet des guerriers, sa main brandit
une épée, et ses yeux étincèlent de l’ardeur des combats.
Liberté sainte ! je te
reconnois au seul enthousiasme qu’inspire ici ta présence : nouvelle
Patronne des Français, tu présides à leurs jeux comme à leurs combats ;
leur ame s’élève à toi par le sentiment de la reconnoissance, et leurs cœurs s’enflamment
par le souvenir de tes bienfaits : c’est toi qui conduis les Nations à la
gloire et les hommes à un solide bonheur : tu enfantas les prodiges des
arts et les miracles de l’industrie : par toi, dégagé de ses entraves, le
génie s’élance à l’immortalité. Tantôt fille du Ciel, tu n’apportes aux Nations
que les douceurs de la paix, que les charmes de l’abondance : tantôt
ministre des vengeances nationales, tu ébranles les trônes, et donnes à l’Univers
de mémorables exemples.
Ainsi, lorsque la révolution Française
fixa tes regards, et te fit concevoir, pour l’Europe, l’espoir d’une délivrance
prochaine, des bords de l’autre hémisphère tu accourus pour seconder nos
efforts, et présider toi-même à cette majestueuse insurrection : tu parus
au milieu de nous, et les Tyrans, épouvantés, reculèrent.
Bientôt ta main puissante
renversa les Bastilles, dispersa les trônes, brisa le joug de la tyrannie et
les poignards des factions.
En vain l’Europe ameutée vomit
contre nous un déluge de soldats ; tu opposes à la tempête un front
inaltérable ; et pendant que tes bras, étendus sur la France, repoussent
ses innombrables ennemis, ta voix terrible appèle à l’indépendance les peuples
frémissants des deux hémisphères.
Ils sont donc arrivés, n’en
doutez plus, ces jours de gloire et de régénération, où la liberté, comme une
flamme rapide, va parcourir les deux mondes, et consumer tout ce que le règne
de l’erreur a déposé d’impur sur ce globe malheureux.
O France, réjouis-toi ! c’est
de ton sein, c’est du sein de cette Montagne fameuse, le boulevard sacré de nos
libertés, qu’est partie l’étincelle qui doit produire ce salutaire
embrassement.
Ah ! sans doute il
appartenoit à ceux qui dictent à l’Univers les oracles de la philosophie, d’en
établir par-tout le doux empire, sans doute il appartenoit aux Libérateurs d’un
grand Peuple d’être encore les Législateurs d’un grand Peuple d’être encore les
Législateurs des Nations.
Puissent-ils au gré de notre
impatience, établir enfin, sur des bases solides, l’empire de la raison et de
la Liberté !
Puissent-ils, étendre aux
extrémités de la terre le bienfait de leurs loix immortelles !
Article terminé
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire