mardi 7 octobre 2008

T : Temple (inauguration du ) de la Vérité - 21 novembre 1793 - Premier décadi frimaire An II



INAUGURATION DU TEMPLE DE LA VERITE (ancienne abbatiale de Saint Sever)

Premier décadi Frimaire, seconde année républicaine (21 novembre 1793)

Archives départementales des Landes : Leclercq imprimeur à Mont de Marsan

Reproduction à l’identique à l’exception de mise à la ligne que j’ai réalisée à chaque phrase afin de rendre le texte plus clair

 PROCES VERBAL DE LA CEREMONIE

La fête a été annoncée dès six heures du matin par le son des cloches : les Autorités constituées, District, Tribunal judiciaire, Bureau de Conciliation, Tribunal de la Justice de Paix et le corps de Gendarmerie, sur l’invitation de la Municipalité se sont rendus à l’Hôtel commun, revêtus de leurs marques distinctives.
 A ce spectacle imposant s’en est joint un autre bien intéressant : des jeunes Citoyens se sont groupés autour de trois vieillards désignés à l’unanimité par la Société populaire, en signe du respect et des égards dûs à la vieillesse.
 Bientôt après, la partie du Bataillon de la levée en masse du District de Dax, qui s’est trouvé dans la Ville, ayant à sa tête le Citoyen Lux, Commandant, la Garde départementale, la Garde nationale de la Commune, et un concours immense de Citoyens s’étant rendus devant la Maison commune, au son d’une musique guerrière, les Corps constitués sont venus se ranger autour de l’Arbre de la Liberté, d’où s’est détaché un peloton du Bataillon de Dax, pour aller prendre la Citoyenne Bustarret  , qui avoit été désignée pour représenter la Liberté, laquelle ayant à ses côtés un chœur de jeunes Citoyennes, choisies pour chanter des hymnes patriotiques, est venue, armée d’un sabre nud et deux pistolets à la ceinture, rejoindre la troupe qui l’attendoit au pied de l’Arbre de la Liberté .
De là on s’est rendu au Temple de la Liberté et de la Raison, dont la commune a pris possession, et dans lequel on avoit eu le soin de dresser un Autel, autour duquel étoient quatre colonnes : là a été placé l’emblème de la liberté, qui présentoit l’attitude la plus agréable et la plus imposante : à l’orgue étoit placé le chœur des jeunes Citoyennes, destinées à chanter des hymnes patriotiques ; elles ont exécuté ces hymnes au son de la musique et mérité les aplaudissements de tout bon Républicain.
A côté de l’Autel  de la Liberté étoit élevé un pièdestal, recommandable par sa simplicité, orné de branche de laurier, sur lequel s’est placé l’Orateur Bertrand  qui a prononcé un Discours, dans lequel il a démontré clairement la nullité et l’absurdité du culte que nous venons d’abjurer, et qui lui a mérité les plus vifs applaudissements.
Ce fait, on est sorti du Temple de la Raison ; et le concours arrivé sur la place de la Révolution, le Représentant du peuple, Dartigoeyte, a paru au milieu des cris plusieurs fois répétés, de Vive la République, et Vive la Montagne : le Président de la Société a présenté une branche de chêne à ce vrai Sans Culotte, qui l’a reçue, en donnant l’acolade fraternelle au Président, et en répondant à son discours par un autre, en reconnoissance de l’accueil civique, fait dans sa personne à la Représentation nationale ; il a développé l’énergie d’un vrai Montagnard : le groupe l’a ensuite accompagné chez le Citoyen Tortigue, où l’on s’est séparé ; et chaque Citoyen, arrivé dans sa demeure, pour ne rien laisser à désirer dans cette journée mémorable, a fait dresser sur la rue, et devant la porte, des banquets où a régné la frugalité républicaine, et où l’on a porté et réitéré la santé de la République et de la Montagne.
Vers deux heures on a dansé la Carmagnole autour de la Ville ; toutes les Autorités constituées, les Corps armés et la foule de Citoyens ont été prendre le Représentant Dartigoeyte ; on s’est rendu de nouveau autour de l’Arbre de la Liberté, où l’on a encore entendu la voix des Citoyennes républicaines, qui avoient toujours l’emblême de la Liberté à leur tête : on s’est porté devant la maison du Montagnard Lafaurie, et de là au temple de la Raison, où le Représentant Dartigoeyte  et la Citoyenne Tortigue, placés sur l’Autel de la Liberté, ont tenu une fille que la Citoyenne Lafaurie venoit de donner à la République, et à laquelle il a été donné le nom de Montagne-Marat-Liberté-Lafaurie.
Dartigoeyte, en analysant en peu de mots, l’énergie des Députés fidelles de la Montagne, qui ont consolidé la Liberté, et les vertus de Marat , ce martyr inhumainement assassiné pour avoir soutenu la cause du peuple, a ému tous les auditeurs de la plus vive reconnoissance envers ces Mandataires fidelles.
On a ensuite accompagné l’emblême de la Liberté dans sa demeure, et l’on s’est séparé un moment, pour se réunir bientôt après dans la Société populaire, où la présence du Représentant Dartigoeyte 
a attiré le plus grand concours.
La fête a été terminée par un Bal de Sans-culottes qui a duré toute la nuit.



DISCOURS
Prononcé par Bertrand pour l’Inauguration du Temple de la Vérité de la Commune de Saint Sever

Comment retracer le tableau intéressant et sublime que présente cette journée mémorable !
Comment exprimer tous les sentiments qui m’agitent, toutes les affections qui me pressent !
Ces lieux, jadis consacrés à l’erreur, convertis soudainement en un Temple de la vérité ; cette chaire, si long-temps l’organe du mensonge, devenue l’oracle de la raison ; l’image sainte de la liberté remplaçant d’absurdes idoles ; les emblêmes de l’égalité sur tous les murs, les attributs du républicanisme sur toutes les têtes ; ces hymnes, ces chants patriotiques, cette affluence de tous les âges et de tous les sexes, cette allégresse, ces transports, tous m’annonce l’élan d’un grand peuple vers la raison ; tout me dit que le règne du mensonge a cessé, et que les Français, dignes enfin de la Liberté, ne reconnoissent plus d’autre culte que celui de la Patrie, d’autres dogmes que ceux de la vérité.
Français ! Quelle révolution inattendue a pu amener sitôt, pour vous, cette époque consolante dont désespéroit la philosophie.
Qui a pu vous élever ainsi tout-à-coup à cette raison épurée et sublime, à cette religion philosophique, dont un petit nombre de savans osoit à peine s’entretenir il y a quelques années ?
Un coup d’œil rétrograde sur les derniers évènements de notre révolution, suffira peut-être pour expliquer ces grands changements. Nous y trouverons tout-à-la-fois de quoi redoubler l’énergie des ames courageuses, et de quoi rassurer les esprits foibles et superstitieux, qui ne voient dans cette utile métamorphose, qu’un bouleversement sacrilège, qu’une réforme calamiteuse.
Une révolution, dont il ne fut point donné à l’esprit humain de prévoir les suites, ni de calculer les effets ; une révolution terrible, mais nécessaire, a bouleversé tout le système  de nos habitudes et de nos institutions : accélérée dans sa marche, par les obstacles même que la malveillance ou la perfidie osèrent lui opposer, elle s’est élancée comme un torrent au sein de la France, renversant les corps, déracinant les préjugés, roulant dans son tourbillon immense les loix et les opinions, les hommes et les choses, et n’épargnant rien de ce qui pouvoit ralentir sa marche vers le grand et sublime but d’une régénération universelle. Au sein de ce vaste bouleversement, et parmi l’écroulement rapide de toutes les parties de notre ancien gouvernement, la superstition seule, échappée à la catastrophe générale, sembloit devoir survivre à la Nation elle-même. Debout, au milieu de la ruine universelle, cette idole orgueilleuse sembloit défier sa destruction, et braver la puissance du peuple. Enfin le jour des vengeances est venu : la foudre a frappé ce colosse odieux, et sa dispersion soudaine a prouvé que rien n’est impossible à la puissance d’une Nation libre et éclairée.
Orateurs, écrivains, qui par vos prédications éloquentes prépariez depuis trente ans ces mémorables réformes ; et vous, Législateurs philosophes, qui avez eu le courage de les exécuter, grâces immortelles vous soient rendus ! Les deux plus cruels ennemis de l’espèce humaine, les deux fléaux de toute société, ces deux monstres que tout Etat nourrit dans son sein, et dont la coalition funeste amène tôt ou tard l’asservissement des Empires, le despotisme et le fanatisme ont tombé sous vos coups, par vous la tyrannie n’a plus de trône, et d’imposture n’a plus d’autel : le soleil de la vérité se lève enfin sur la France, et chasse devant lui les ombres de la superstition ; déjà ses rayons ont dissipé les nuages qui obscurcissaient la raison publique ; déjà l’on ose soulever le voile mystérieux dont s’enveloppoient des hommes profondément hypocrites ; déjà l’on ose pénétrer dans les sombres repaires du fanatisme, et dévoiler à tous les regards ce système hideux de fraude et de rapine qui ronge et déshonore depuis tant de siècles les Nations abusées.
O peuple ! apprends enfin à distinguer tes amis de tes ennemis ! vois quels sont les bienfaits de ta révolution ! connois tous les crimes du Sacerdoce !... Le Sacerdoce n’est n’a été et ne sera jamais qu’une école publique de mensonge, payée par les Tyrans, pour tromper et abrutir la multitude.
Oui, les Prêtres n’ont d’autre mission, dans un Etat, que d’épaissir sur les yeux du peuple le bandeau d’une erreur utile, et d’endormir la victime pour l’égorger plus facilement ; aussi de quelles absurdités ils ont abreuvé son esprit ; de quels monstres ils ont effrayé son imagination !
Ingrats envers celui même dont ils se disoient les ministres, quelle hideuse caricature ils nous ont présenté de la Divinité ! Dieu, cet être incompréhensible, mais nécessaire, ce principe de tout bien, cette source de toutes voluptés, n’est, à les entendre, qu’un Tyran ombrageux et cruel, jouissant de nos larmes et jaloux de nos plaisirs.

Brigands ! ainsi pour justifier vos crimes, vous lui prêtiez vos passions, vous lui supposiez des vengeances pour trafiquer de ses bontés ! Mais que dis-je ? c’étoit peu de calomnier la Divinité ; avec quel acharnement ils ont persécuté son plus bel ouvrage !
Tyrans de l’opinion et bourreaux de la pensée, ils étouffoient le génie dans les cachots, ils assassinoient la raison sur les bûchers.
Tout couverts des hochets de l’orgueil, ils prêchoient l’humilité, ils affectoient la pauvreté au sein de l’opulence. Despotes industrieux, ils avoient étendu leur empire jusques sur les consciences, et soumis à leur tribunal les opérations les plus fugitives de la pensée. Enfin, Tyrans éternels de l’homme, qu’ils prenoient au berceau, pour ne l’abandonner qu’à son lit de mort, ils le poursuivirent encore jusques dans les doutes d’une vie future, où ils avoient su créer à leur profit, les béatitudes d’un paradis, et les supplices d’un enfer.
Que de fables absurdes, que d’impostures odieuses, que de farces dégoûtantes je pourrois citer ici pour achever ce tableau, malheureusement trop fidelle, du Sacerdoce ancien et moderne ! par combien de faits je pourrois démontrer que, dans tous les temps et dans tous les lieux, les Prêtres ont été constamment les complices de la tyrannie et les persécuteurs les plus acharnés de la raison et de la liberté publique !
O toi, dont j’ose me dire ici l’interprète, Vérité sainte, fais luire enfin aux yeux de ce peuple abusé, le flambeau de tes clartés immortelles ; accoutume son oreille au langage austère de la raison ; découvre à son esprit les principes d’une morale plus saine et d’une vertu plus éclairée !  


Quelle est cette Divinité nouvelle dont la présence attire les regards et commande les respects ? Moderne Pallas, elle couvre sa tête du bonnet des guerriers, sa main brandit une épée, et ses yeux étincèlent de l’ardeur des combats.
Liberté sainte ! je te reconnois au seul enthousiasme qu’inspire ici ta présence : nouvelle Patronne des Français, tu présides à leurs jeux comme à leurs combats ; leur ame s’élève à toi par le sentiment de la reconnoissance, et leurs cœurs s’enflamment par le souvenir de tes bienfaits : c’est toi qui conduis les Nations à la gloire et les hommes à un solide bonheur : tu enfantas les prodiges des arts et les miracles de l’industrie : par toi, dégagé de ses entraves, le génie s’élance à l’immortalité. Tantôt fille du Ciel, tu n’apportes aux Nations que les douceurs de la paix, que les charmes de l’abondance : tantôt ministre des vengeances nationales, tu ébranles les trônes, et donnes à l’Univers de mémorables exemples.
Ainsi, lorsque la révolution Française fixa tes regards, et te fit concevoir, pour l’Europe, l’espoir d’une délivrance prochaine, des bords de l’autre hémisphère tu accourus pour seconder nos efforts, et présider toi-même à cette majestueuse insurrection : tu parus au milieu de nous, et les Tyrans, épouvantés, reculèrent.
Bientôt ta main puissante renversa les Bastilles, dispersa les trônes, brisa le joug de la tyrannie et les poignards des factions.
En vain l’Europe ameutée vomit contre nous un déluge de soldats ; tu opposes à la tempête un front inaltérable ; et pendant que tes bras, étendus sur la France, repoussent ses innombrables ennemis, ta voix terrible appèle à l’indépendance les peuples frémissants des deux hémisphères.
Ils sont donc arrivés, n’en doutez plus, ces jours de gloire et de régénération, où la liberté, comme une flamme rapide, va parcourir les deux mondes, et consumer tout ce que le règne de l’erreur a déposé d’impur sur ce globe malheureux.
O France, réjouis-toi ! c’est de ton sein, c’est du sein de cette Montagne fameuse, le boulevard sacré de nos libertés, qu’est partie l’étincelle qui doit produire ce salutaire embrassement.
Ah ! sans doute il appartenoit à ceux qui dictent à l’Univers les oracles de la philosophie, d’en établir par-tout le doux empire, sans doute il appartenoit aux Libérateurs d’un grand Peuple d’être encore les Législateurs d’un grand Peuple d’être encore les Législateurs des Nations.
Puissent-ils au gré de notre impatience, établir enfin, sur des bases solides, l’empire de la raison et de la Liberté !
Puissent-ils, étendre aux extrémités de la terre le bienfait de leurs loix immortelles ! 

Article terminé

Aucun commentaire: